En vue de Pipol 11, les cliniciens s’interrogent, rendent compte de divers aspects, tentent d’en approcher des éléments avec netteté. Cela tient du travail de mise au point de la lunette astronomique, et aussi de l’éclairage de la caverne…
Les quatre textes de cette livraison explorent des facettes du patriarcat.
Ici, le père féroce. Que ce soit dans sa volonté d’être le « père qui profère la loi sur tout » ou dans la tyrannie de ses excès de jouissance, sans fonction civilisatrice.
Là, le discours woke. « Dénonçant l’arbitraire du patriarcat »[1], n’en viendrait-il pas à instaurer un autre arbitraire, à substituer une jouissance à une autre, avec un effet de vacillement du lien social, puisque fondé sur l’exclusion de ce, et ceux, qui sont non-conformes.
Valérie Binard invite à lire La nuit des pères de Gaëlle Josse. L’auteur y trace, avec tact et poésie, un parcours d’enfance, à « l’ombre de la figure d’un père féroce », guide de haute montagne. Pour grandir, chacun des enfants – la narratrice et son frère – a construit une façon d’échapper à l’étouffement. Aux portes de l’oubli, le père éclairera l’horreur qui fut la sienne, humanisant le père féroce qu’il fut, et apportant un certain apaisement à la narratrice.
René Raggenbass rappelle l’interprétation de Lacan aux étudiants en 68 : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez ! » Eh bien, nous l’avons. Et il propose de lier le wokisme non au « retour » du patriarcat, mais à « une tyrannie de la jouissance sous les traits d’idéaux groupaux ».
Françoise Denan explore le woke at work. Dans les entreprises actuelles les préoccupations woke avec un effet de surmoi féroce ont remplacé le paternalisme industriel et le système familialiste bien-pensant. Les idéaux du Père – et ses prescriptions pour tous –, ont laissé place à la revendication de jouissances plurielles. À l’époque du capitalisme historique, le lien était préservé par le biais des luttes sociales, syndicales… Quelle nouvelle forme de lien pourrait exister aujourd’hui ?
Céline Menghi évoque le parcours de William Blake auteur du poème « Nobodaddy », cherchant équilibre entre écriture et dessin, faisant trace des visions qui le traversent depuis l’enfance. Un homme opposé à la « dissidence rationaliste », à la philosophie et à la science empiristes.
Toutefois, outre la précision avec laquelle chacun des auteurs ajuste notre vision de ce qui peut se loger sous « patriarcat », ce qui réunit ces textes, c’est l’ouverture qu’ils apportent : prendre pour boussole la psychanalyse constitue une chance pour chaque sujet aux prises avec la « douleur de vivre », ou avec la « tyrannie de la jouissance de l’Idéal ».
Du côté de la vis micrométrique ou de la torche fuligineuse, la psychanalyse, – par ses approches théoriques ou sa pratique – se montre outil d’élucidation. Et surtout support à l’invention de chaque Un.
[1] Berkane-Goumet S., « Le discours woke, un nouveau rapport ? », texte d’orientation, Nobodaddy, blog Pipol 11, 26 février 2023.
Image : @ Geoffroy Mottart