La psychanalyse s’est fondée sur la place structurante de la figure du père dans la subjectivité humaine. Que peut-on en dire dans l’expérience analytique avec des névrosés à l’époque de la lutte contre le patriarcat ?
Revenons à la conférence formidable de Jacques Lacan, « Le Mythe individuel du névrosé » dans lequel il situe, dès le départ, l’image du père « toujours dégradée » comme pendant du déclin de la figure du maître dans notre histoire[1]. La fin du patriarcat étant donc déjà un moment que nous traversons depuis longtemps, c’est le mouvement de lutte contre qui constitue un aspect de la subjectivité de notre époque actuelle.
Face à ce déclin, Lacan se sert notamment du célèbre cas de « l’Homme aux rats »[2] pour démontrer que ce à quoi le névrosé a à faire est de l’ordre du mythe ; d’où le titre de sa conférence adressée au Collège philosophique en 1952.
Après avoir détaillé les circonstances du déclenchement de la crise subjective qui conduit l’Homme aux rats à Vienne pour consulter Freud en urgence, Lacan étudie ce qu’il appelle « la constellation familiale du sujet »[3]. Il y décrit, de façon amusante, un père « qui est resté très ‟sous-officier”, avec la note d’autorité, […] un peu dérisoire, que cela comporte »[4].
La névrose se déclenche au moment où se reproduit, dans la vie du sujet, le conflit entre femme riche/femme pauvre dans lequel son père lui-même avait été pris à l’époque de son mariage avec sa mère. Le mythe introduit un quart élément par rapport au ternaire du complexe d’Œdipe : sur des plans différents, l’objet se dédouble et le sujet s’englue dans une dette insolvable, prenant à sa charge la faute du père.
Certes, le complexe d’Œdipe révélait déjà que le conflit inconscient est toujours lié à une rivalité avec le père, mais Lacan va au-delà avec le mythe. Il lie le sujet dans le conflit inconscient à « une valeur symbolique essentielle […], toujours en fonction d’une certaine dégradation concrète […] de la figure du père »[5]. Pour Lacan, le mythe, en situant le père du côté du symptôme, prend le relais du père universel de l’Œdipe dans le moment de civilisation que l’on traverse. Chaque père devient le « modèle de la fonction »[6] selon la formule de Lacan dans son Séminaire « R.S.I. », c’est-à-dire qu’il y a une pluralité de versions du père.
C’est cette mise en place, dans le Séminaire « R.S.I. », de la fonction du père comme père-version – soit d’un père dont le désir est perversement orienté vers une femme – qui permet de faire la lecture suivante : le symptôme de l’Homme aux rats porte la marque de ce que son propre père n’a ni assumé ni soutenu son désir envers une femme comme unique.
Cette valeur de la figure du père sera donc à évaluer en regard de ce pourquoi le sujet névrosé se met en lutte pour dénoncer le patriarcat [plus fluide]. C’est une façon de déplier la question que pose l’appel à contribution pour les simultanées cliniques du congrès, pour les cas de névrose : « de quoi, pour chacun, le patriarcat est-il le nom ? »
[1] Cf. Lacan J., Le Mythe individuel du névrosé, Paris, Seuil, 2007, p. 15.
[2] Freud S., Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1997, p. 199-261.
[3] Lacan J., Le Mythe individuel…, op. cit., p. 23.
[4] Ibid., p. 21.
[5] Ibid., p. 15.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », leçon du 21 janvier 1975, Ornicar ?, n°3, mai 1975, p. 108.
Image : © Pascale Simonet