NobodaddyGuy Poblome

Vous avez sous les yeux la première Newsletter qui prépare le prochain congrès de l’EuroFédération de Psychanalyse, Pipol 11, sous le titre Clinique et critique du patriarcat.

Il a été proposé par Jacques-Alain Miller, du fait de son actualité. Tout le monde parle du patriarcat ou en a entendu parler. Il serait la cause du malaise dans la civilisation contemporaine, alors même qu’il avait disparu de la circulation du fait de son déclin, voire de son « évaporation »[1] ; le père, on s’en passait de plus en plus.

Le nom de cette Newsletter est Nobodaddy, terme forgé par le poète mystique de la fin du XVIIIe siècle, William Blake, dont il fait le titre d’un de ses poèmes. La construction plurivoque de cette création langagière permet de mettre en évidence le paradoxe qu’indiquent les premiers vers : d’une part l’absence du père, le nobody, le poème est en cela explicite : « Pourquoi restes-tu silencieux et invisible » ; et d’autre part la face de la jouissance qui se fait entendre dans « Père de Jalousie ? »[2], qui n’est pas sans évoquer le père de Totem et tabou.

Catherine Millot, plus proche de nous, a repris ce terme pour en faire le titre d’un livre : Nobodaddy, L’Hystérie dans le siècle, dans lequel on retrouve un « dédoublement […], d’une face purement signifiante et d’une face obscure », qui fait « l’échec d’Un père »[3].

Enfin, les accents joyciens de l’écriture de W. Blake permettent d’y lire le nœud bo, le nœud beau du père. Nous retrouvons dans cette création langagière, et ce n’est pas de hasard, la fonction du père que Lacan a définie à la fin de son enseignement comme symptôme au principe du nouage borroméen. C’est dire que le père, loin d’être Un, s’articule des trois dimensions constituantes du parlêtre, le réel, le symbolique et l’imaginaire.

Les trois premiers numéros de Nobodaddy seront consacrés aux textes d’orientation des rubriques du blog de Pipol 11 que vous pouvez découvrir en allant sur www.pipol11.eu. Ces rubriques, au nombre de six, accueilleront les textes que chacun d’entre vous qui le souhaite pourra proposer pour participer activement à la préparation du congrès.

Dans ce premier numéro, Neus Carbonell nous présente la rubrique S’en passer, s’en servir. Elle y pose la question des conditions, pas du tout incompatibles avec le déclin du patriarcat, pour qu’un père, dans sa singularité, puisse non pas imposer l’autorité et la loi, mais transmettre la fonction du désir en nouant, toujours de façon symptomatique, son rapport à la jouissance à une femme. À l’ère de l’au-delà du père et du patriarcat, qui peut mener au pire, le symptôme restera en effet la pierre angulaire de Lacan pour aborder la solution singulière de chaque Un à rebours de toute normativation standardisée.

Domenico Cosenza, pour la rubrique Autoritarismes, justifiant le titre du livre de C. Millot, part du sujet hystérique qui fait objection aux diktats du père, comme des discours dominants. Le choix de Freud a été de laisser parler le sujet, ce qui permet de mettre à jour les signifiants, signifiants-maîtres, qui le soumettent à son insu, indiquant ainsi que, bien au-delà du père, c’est le langage qui mène la danse. Tout comme N. Carbonell, D. Cosenza relève que le déclin du père peut mener au pire sous les formes variées de l’autoritarisme idéologique ou fondamentaliste.

Voilà deux textes qui donnent les premières orientations du chemin qui nous mènera au congrès des 1er et 2 juillet prochains. Bonne lecture !

Image : @ Fabien de Cugnac

[1] Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, mars 2015, p. 8.
[2] Blake W., To Nobodaddy, poème, traduction par Alain Suied, disponible sur internet : https://www.espritsnomades.net/litterature/william-blake-approches-de-william-blake-par-alain-suied
[3] Millot C., Nobodaddy, L’Hystérie dans le siècle, Paris, Point hors ligne, 1988, p. 13.

Extrait de la bibliographie

« Le déclin du père est d’actualité depuis la Rome antique ! L’œuvre de Freud met également en évidence le déclin de l’ordre patriarcal. […] Aujourd’hui, nous vivons véritablement la sortie de cet ordre patriarcal. Lacan prédisait que ce ne serait pas pour le meilleur. Sortir des horreurs du patriarcat n’est nullement une garantie de bonheur. »
Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien, 2 mai 2021 », La Cause du désir, n° 108, juillet 2021, p. 54.