« Raviver la valeur de la métaphore paternelle » – Valérie Lorette

© Fabien de Cugnac – http://cugnac.be/

Ce titre est une formule découverte au fil de la lecture du premier cours donné par Jacques-Alain Miller après la mort de Lacan, « Jalons dans l’enseignement de Lacan ». Dans ce texte, travaillé cette année dans l’atelier de lecture de l’ACF-Belgique, J.-A. Miller propose de relire Lacan en évitant la redite, en mettant en lumière les questions que Lacan n’a pas posées. Car c’était cela Lacan, un style assertif, masquant la forêt qu’était sa constante élaboration.

« Raviver la valeur de la métaphore paternelle »[1] est une formule qui interroge, à l’heure où le patriarcat est bruyamment décrié et que la fonction du père s’est évaporée. J.-A. Miller propose, une lecture tout à fait rafraîchissante : il ne s’agit évidemment pas de revenir aux anciennes amours. À l’instar de Lacan, « [n]ous ne sommes pas de ceux qui s’affligent d’un prétendu relâchement du lien familial. […] Mais un grand nombre d’effets psychologiques nous semblent relever d’un déclin social de l’imago paternelle. »[2]

L’exercice de J.-A. Miller consiste à mettre en exergue le contexte dans lequel s’est creusée la place de la fonction du tiers. À savoir, pour ce qui la concerne, le constat que ce qui l’avait rendue nécessaire a été occulté : pour Lacan, le rapport premier à l’autre est un rapport paranoïaque. Ainsi dans le stade du miroir, Lacan expose que l’état normal du moi est paranoïaque. « La paranoïa, c’est la personnalité »[3] : c’est à dire à l’envers d’une idéologie de l’appréhension immédiate et sympathique de l’autre. Pour Lacan, le rapport à l’autre, c’est toujours le « tu es », qui résonne avec le verbe tuer.

Le signifiant apporte le morcellement à l’unité du vivant. C’est par l’incorporation du symbolique dans l’organisme que s’introduit le corps, le passage de l’organisme au corps. C’est en cela que le signifiant fait le corps humain. Le sujet pâtit du signifiant, par la castration.

La métaphore paternelle est, elle, un principe de séparation du sujet d’avec la jouissance. Cette séparation fait du corps un désert au regard de la jouissance, et permet au sujet de « separare, [de] se parer du signifiant sous lequel il succombe »[4] par le recours à d’autres signifiants, binaires, dans la stabilisation d’une métaphore qui, précise J.-A. Miller, – et cela a toute son importance –, n’est pas moins délirante que d’autres[5]. Ainsi, la métaphore paternelle est à prendre comme un principe d’organisation de la jouissance.

Quand, a contrario, elle ne fonctionne pas, le sujet succombe sous le signifiant dont il ne peut se parer.

Prenons le cas du petit Hans : Quand la jouissance pénienne fait effraction et que la métaphore paternelle n’est pas suffisamment opérante pour y répondre, il construit alors sa propre métaphore sous les oripeaux de la phobie. Apparaît, alors, un principe organisateur beaucoup plus envahissant, aux « airs de surmoi obscène et féroce »[6].

Dans le cas du président Schreber, la métaphore n’opère pas, il n’y a pas de séparation entre le corps et la jouissance, pas de principe organisateur de la jouissance qui, dès lors, fait retour soit dans le corps (catatonie), soit dans la relation imaginaire au petit autre élevé à la puissance de l’Autre. Ici, la jouissance n’a déserté ni le corps ni l’Autre. L’élaboration délirante de Schreber n’est rien de moins qu’un principe organisateur de substitution.

La métaphore paternelle est une opération qui a pour résultat de fixer le sujet dans un rapport réglé à la jouissance : le corps en est déserté, mais elle fait retour sur les zones érogènes qui sont telles de petites oasis. L’effort de J.-A. Miller permet de sortir la psychose de son statut déficitaire en rappelant qu’à trop mettre l’accent sur la forclusion, on en oublie les créations, inventions des sujets. Il s’agit de faire une place à ce qui fait suppléance dans la psychose.

Le Congrès Pipol sera l’occasion de mettre à l’étude ces élaborations de sujets, qui ont à s’arranger avec cette jouissance non extraite, tant du corps que du champ de l’Autre, faute d’objet a pour la condenser.

[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Jalons dans l’enseignement de Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 5 mai 1982, inédit.
[2] Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 60.
[3] Propos de Lacan lors d’une présentation de malade, cité par J.-A. Miller dans « Jalons dans l’enseignement de Lacan », op.cit., cours du 28 avril 1982, inédit.
[4] Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 843.
[5] Cf. Miller J-A., « L’orientation lacanienne. Jalons dans l’enseignement de Lacan », op. cit.
[6] Miller J-A., « L’orientation lacanienne. Jalons dans l’enseignement de Lacan », op. cit., cours du 28 avril 1982, inédit.

Image : © Fabien de Cugnac