Des institutions « traditionnelles » aux institutions « communautaires » – Amélia Martinez

© Jos Tontlinger – https://jos-tontlinger.be/

Institutions et subjectivité de l’époque

Les institutions lambda où nous exerçons n’échappent pas à la subjectivité de l’époque. Pour paraphraser Marie-Hélène Brousse, nous pourrions dire que l’institution comme « ‟le symptôme change d’allure selon l’époque”. Aujourd’hui, ce sont les identités qui comptent et ‟donc le symptôme prend la forme d’une identité” »[1], cela n’est pas sans conséquence sur la forme des institutions.

Avec la montée en puissance du discours scientifique, les institutions se sont ghettoïsées. Sous l’influence des classifications telles que le DSM, nous ne parlons plus de maladies psychiques, mais de troubles. Un trouble élevé au rang de pathologie : TCA, TOC, TDAH, tous les DYS… À chaque trouble, son institution. Ce qui fait signe de la singularité de chaque être parlant – soit son symptôme – n’est plus à déchiffrer ou à interroger, mais à rééduquer, à réhabiliter. La causalité psychique est évacuée ; les neurosciences l’affirment, la cause se situe dans un dysfonctionnement cérébral, et/ou dans un défaut génétique.

Actuellement, dans le médico-social, les institutions polyvalentes dites de premières lignes, celles qui accueillent tous ceux qui en font la demande, sans distinction de diagnostic, comme les CMPP, sont menacées et sommées par les tutelles de muter en plateformes. L’accueil et le soin seront remplacés par l’évaluation normée et par l’orientation vers des institutions expertes dans le trouble diagnostiqué, ou vers des praticiens libéraux pour « une prise en charge rapide » – sic. Nous assistons à la disparition programmée des institutions traditionnelles et de leur dimension thérapeutique.

Parallèlement à ce mouvement de désinstitutionnalisation, le modèle communautaire a le vent en poupe dans le domaine de ladite santé mentale. En effet, si les ARS n’allouent pas de moyens supplémentaires aux institutions « traditionnelles », de nombreuses initiatives « communautaires » obtiennent le soutien de multiples organismes publiques[2]. Prenons l’exemple des Clubhouses qui sont des lieux communautaires d’entraides et d’activités de jour non médicalisés pour les personnes « vivant avec un trouble psychique ». Fondés en 1948 à New York, ils sont présentés comme une alternative aux structures médicalisées. Les Clubhouses visent à un « rétablissement global (médical, social, professionnel) » de leurs membres. Pour y parvenir, pas de psychiatre ou psychologue, mais un lieu qui se définit comme « bienveillant et sans jugement ». L’accent est mis sur leur méthode « innovante » qui consiste en une cogestion du Clubhouse entre salariés et membres[3]. À ce jour, il en existe cinq, mais nous pouvons lire sur le site de Clubhouse France que : « Le 31 août 2022, […] le modèle Clubhouse a été officiellement reconnu par la parution d’une instruction ministérielle. […] L’association rentre dans sa troisième phase de développement : un changement d’échelle, d’envergure, avec l’ouverture de 5 nouveaux Clubhouses d’ici 2025 […] pour accompagner près de 2 500 membres en France. »[4]

Du père aux pairs… au pire ?

La multiplication de ces structures, basées sur une organisation horizontale, et non plus verticale, est paradigmatique de l’évaporation du père dans nos sociétés selon l’expression de Lacan en 1968 et de sa prédiction de la montée des ségrégations[5]. Ces institutions, qui veulent se passer de la fonction de l’exception, la méconnaissent en tant que vecteur d’un désir particularisé. Dans l’institution, évacuer l’exception, c’est ouvrir la porte à l’automatisme, à la règle qui fonctionne toute seule[6], et qui se traduit dans l’exemple du Clubhouse par la visée d’« un rétablissement global » pour tous les membres. C’est l’envers du pari de la psychanalyse qui, prenant appui sur le dernier enseignement de Lacan, offre la possibilité au sujet de choisir « la solution sinthomatique qui lui conviendra le mieux »[7].

[1] Di Giorgio M. R., « Retour sur la venue de Marie-Hélène Brousse. Une leçon à trois temps », Site de l’ACF en Corse-Restonica, disponible en ligne : https://acf-restonica.fr/une-lecon-a-trois-temps/.
[2] AGEFIPH : Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées ; ARS : Agence régionale de santé ; Collectivités locales.
[3] Clubhouse France, « Un Tremplin vers une vie sociale et professionnelle active pour les personnes vivant avec un trouble psychique », site internet, disponible en ligne : https://www.clubhousefrance.org/l-association/le-modele-clubhouse/.
[4] Clubhouse France, « L’Histoire de notre association », disponible en ligne : https://www.clubhousefrance.org/l-association/qui-sommes-nous/.
[5] Cf. Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, 2015, p. 8.
[6] Cf. Leblanc-Roïc V., « Le père, son nom, et au-delà. Usages du père aujourd’hui », Conférence qui s’est tenue à Bastia le 25 mars 2023, inédit.
[7] Cf. Di Giorgio M. R., op. cit.

Image : © Jos Tontlinger